VIDÉO: Table ronde “La scénarisation en jeu vidéo”

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Du 30 avril au 2 mai 2024 se déroulait aux Archives nationales à Montréal le colloque “Raconter-Cartographier: la scénarisation transmédiale”, colloque qui faisait la clôture d’un projet de recherche auquel je participais depuis les dernières années.

J’animais dans ce colloque une table ronde sur la scénarisation dans le monde du jeu vidéo, avec 4 invité·e·s:

  • Olivier Lussier (Lowbirth Games, This Bed We Made)
  • Maxime Monast (Thunder Lotus Games, Spiritfarer)
  • Mike Ducarme (Berzerk Studios, Infernax)
  • Marie Fallon (doctorat en études cinématographiques sur l’adaptation en scénario de jeu vidéo, Université de Montréal)

Le labdoc de l’UQAM a filmé les tables rondes et nos intervenant·e·s ont gracieusement accepté qu’on immortalise ces échanges. Vous pouvez donc découvrir quelques-uns des enjeux autour de “l’écriture de scénarios” de jeux vidéo (et en réalité, tout ce qui passe dans le monde de la narration et qui va bien au-delà de l’écriture, et bien au-delà d’un scénario).

Quelques semaines plus tard, Lowbirth Games gagnait deux prix au gala des prix NUMIX: le prix Jeu indépendant et le grand prix NUMIX! (l’ami Simon Dor en parlait et l’inscrit dans la lignée d’autres jeux historiques québécois) Le colloque était adjoint d’une exposition où divers documents étaient présentés. On a eu la chance, grâce à la générosité d’Olivier Lussier, de voir plusieurs centaines de pages et divers formats de documents de scénarisation – une rareté dans le monde hyper-secret du jeu vidéo. On voit quelques-uns de ces documents dans la vidéo de la table ronde.

D’ailleurs, cette obsession du secret cause un grand tort à l’industrie en privant la relève de modèles desquels s’inspirer pour faciliter leur insertion. J’en profite tandis que j’ai le micro. Quand j’enseigne la scénarisation au cinéma en 2024, mes étudiants ont sous la main les scénarios de Oppenheimer, Barbie, et Anatomie d’une chute. Ils avaient les scénarios depuis quelques semaines quand les Oscars ont été donnés. En jeu vidéo, j’ai des game design documents des années 1990. Les quelques writers qui publient des manuels d’écriture négocient d’inclure des extraits comme exemples dans leurs livres ou chapitres. Tout le reste est propriété des studios et jalousement gardé secret. Imaginez si je pouvais leur montrer des documents d’écriture (scénario, barks, diagrammes de quêtes, arbres de dialogues, …) des jeux qui font l’actualité.

D’où l’importance de tenir de tels événements, et de pouvoir vous présenter des traces.

Contrer la culture du secret

Tou·te·s les invité·e·s ont d’ailleurs souligné avoir apprécié qu’on les invite et qu’on tienne un tel événement. On a même lancé l’idée de peut-être tenir un événement par année dédié à l’écriture et la conception narrative pour les jeux vidéo – un événement d’échange, de partage de processus, de méthodes ou de questions, dans la perspective d’un échange de savoirs et d’une culture de la pratique ouverte. Pas un tremplin promotionnel pour anticipaqueter* la prochaine sortie, ou un post-mortem de projet avec un chaperon dans la salle (un·e producteur·trice de l’entreprise) pour surveiller l’intervenant·e et s’assurer que rien n’est divulgué.

*Anticipaqueter (hyping): présenter et indûment mousser un jeu avant sa sortie pour stimuler un engouement sur des bases creuses ou factices. Reprend l’expression québécoise “être paqueté” (être saoul, ce qui mène à des promesses d’ivrogne), avec un double sens sur le principe du paquet ou packaging, qui évoque la frime de mise en marché ou marketing.

Je repense à Corey May, scénariste pour Ubisoft et qui donnait une grande conférence aux Entretiens Jacques-Cartier (si ma mémoire est bonne) alors qu’on venait de sortir Assassin’s Creed II, devant plus d’une bonne centaine de personnes…et qui disait quelque chose comme ceci (je paraphrase de mémoire), en parlant du récit enchâssant (framing narrative) de Desmond Miles qui, dans les années 2010, est gardé chez Abstergo et va dans l’Animus, la machine qui crée une réalité virtuelle à partir de ses mémoires génétiques. C’était ce récit enchâssant qui nous donnait accès aux récits de ses ancêtres assassins, de Jérusalem pendant les croisades, à Florence à la Renaissance:

…and that framing narrative was there when I got on board. So, my job is to use it and work within it and get the most out of it. And if future games in the series… (il regarde dans la salle en souriant) which, to be clear, Ubisoft has not announced, so, you know, it’s purely speculative on my part… but IF more games would appear in the series, then we WOULD need to use that framing narrative and expand it again and make sure everything works within that… within those, again, HYPOTHETICAL games, which MAY, or MAY NOT be coming. (lol, on sait tous qu’il y en a d’autres qui s’en viennent, mais vous savez que j’ai pas le droit de le dire, faque on fait tous semblant-wink-wink!)

Ma mémoire d’il y a 10 ans d’un speech que j’ai vu live. Donc sivouplaît pas trop se fier aux mots exacts, c’est l’esprit général de ces paroles un peu surréalistes que j’essaie de transmettre.

Corey est intelligent, il sait qu’il peut utiliser l’ironie et l’humour pour quand même dire, sans le dire, ce qu’il veut dire. On trouve ça bien drôle, il contourne les règles! maudite bureaucratie! … mais il le fait pour quelque chose qui est trivial. Ubi a lancé une nouvelle franchise de million-sellers, c’est évident qu’ils vont en faire un truckload (on l’a vu rapidement). Mais imaginons tous les autres sujets qu’il n’a pas du tout du tout abordé, sans lol-wink-wink, parce que c’était pas du tout trivial.

Me semble, en y repensant, que ça ferait du bien d’avoir, UNE FOIS par année, une demie-journée où on invite quelques personnes à parler de ce qu’ils font et qui nous montrent des documents, du process, des outils. Axé sur la narration. Appelons-ça le FORUM À HISTOIRES, mettons (on trouvera mieux éventuellement).

Contrer les contrôles tatillons

Dans l’idéal, les studios ne demanderaient pas à leurs employé·e·s de remplir une fiche motivant leur absence pour fins de formation professionnelle, en cochant des cases et en écrivant sur le formulaire quels “gains en productivité” ils vont amener à l’entreprise en retour, et autres formulations typiques des RH et de la gestion. Je comprends que ça vient de bonnes intentions (s’assurer que ce soit pas juste des congés déguisés), mais si vous demandez qu’on vous écrive en 3 lignes de formulaire comment la personne qui vient à mon événement va rapporter des trucs concrets qui vont booster la productivité et améliorer le rendement de vos équipes, désolé, mais la seule chose que vous allez autoriser comme “absences pour formation”, c’est celles qui viennent de charlatans qui vendent des remèdes miracle (un snake oil salesman, comme on dit en anglais et qu’on voit dans des albums de Lucky Luke), ou qui comptent sur des publicistes pour faire du marketing.

Mon pitch à moi, c’est qu’en venant à l’événement, la personne va être exposée à d’autres méthodes de travail et pouvoir échanger ses récits de pratique avec des collègues d’ailleurs, permettant la circulation des idées et consolidant un savoir qui pourra renforcer l’écosystème du jeu vidéo ainsi que ses propres perspectives sur la pratique. Si les RH veulent savoir ça vaut combien d’heures de production, ça, pour calculer le coût-bénéfice d’autoriser l’absence de l’employé·e ou pas, je répondrais par une question: vous pensez que ça ne vaut pas une demie-journée, donc 4h sur les 2080 que vous payez pour un salarié 40h par semaine / 52 semaines par année? (et si on calcule les heures réelles travaillées au-delà de 40 par semaine, la balance penche encore plus en faveur…)

Laisse un commentaire ici si tu penses qu’un rendez-vous annuel de ce genre serait bienvenu. Je ne suis pas publiciste et je n’ai pas de publiciste à mon compte, donc je ne pense pas que ce message de blogue va circuler beaucoup, mais juste en avoir 2-3, ça me permettrait déjà de montrer qu’il y a un besoin et que ça répond à une demande.

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